Irrévérence - épisode 8 (TEXTE)
Où le Pape discute en audience privée avec le Pharaon. Il y est question de finances, de casques bleus et de gardes suisses, sur fond de guerre en Palestine
Ce que le directeur de cabinet Farouk annoncerait à son directeur général, alias le Pharaon, attirerait ses foudres. Il le savait et il lui fallait du courage car il n’avait pas seulement une, mais trois mauvaises nouvelles à partager. Premièrement, le déficit des finances de leur agence onusienne avait dépassé sa cote d’alerte. Le premier secrétaire de l’ambassade américaine venait de lui communiquer officiellement, sur instruction de la nouvelle représentante des USA, Ms. Williams, que Washington cette année encore refusait de payer sa contribution obligatoire, parce que l’organisation, sur proposition du Pharaon, avait admis la Palestine comme État observateur de ses instances dirigeantes. Deuxième mauvaise nouvelle, les USA exigeraient bientôt une réduction de quarante pour-cent du budget de l’organisation et cela signifierait le licenciement d’un tiers du personnel. Bien entendu, jamais la majorité des États membres n’accepterait une telle résolution. C’était là juste pour l’Oncle Sam une manière élégante et délicate, et très insultante, de mettre la pression sur le Pharaon et de proclamer urbi et orbi que le staff onusien ne foutait rien, et ne servait à rien.
Le Pharaon entra dans l’une de ses redoutables et légendaires colères. Il leva les bras au ciel en rugissant, vociféra, ratissa violemment d’un revers de sa manche ce qui encombrait son bureau, envoya voler à travers la pièce tous ses dossiers. Il ne décoléra pas pendant un quart d’heure, criant à une conspiration de la bêtise et de l’irresponsabilité, hurlant au sabotage, vitupérant les États-Unis. Le dos rond, Farouk essuya postillons, insultes et humiliations en attendant que l’orage passe. Pris entre les pressions américaines et les fureurs de son boss, il avait l’habitude de ce genre de situations. Il en avait fait son métier.
Le Pharaon, retrouvant son calme, accepta finalement mais à contrecœur d’écouter la troisième mauvaise nouvelle. Depuis des mois, Farouk avait fait tout ce qu’il pouvait pour atténuer les cauchemars de trésorerie résultant du non-paiement des contributions américaines. Il avait envoyé des rappels à tous les pays retardataires dont les paiements étaient en souffrance – car seuls les pays scandinaves payaient rubis sur l’ongle tandis que tous les autres trainaient leurs savates, et faisaient poireauter l’agence jusqu’à dix mois avant d’honorer leurs devoirs, y compris l’Union européenne et le Japon. Quelques pays avaient obtempéré au cours du semestre écoulé, mais il ne s’agissait que de cacahuètes : le Rwanda, le Sri Lanka et le Bhutan, etc., si bien qu’aucune rentrée substantielle n’était venue alimenter les caisses. Bien entendu, Farouk avait multiplié les économies de bouts de chandelle, bloqué les paiements des factures des fournisseurs et des honoraires des collaborateurs externes, arrêté les travaux d’amélioration des toilettes à tous les étages, rogné sur toutes les fournitures, réduit de moitié et les dépenses de papeterie, etc. Et il avait aussi, bien évidemment, approché quelques banques et autres institutions financières qui avaient parfois, dans le passé, dépanné la maison en lui faisant crédit. Et ceci était la troisième mauvaise nouvelle du jour : toutes les banques cette fois-ci avaient refusé à Farouk de lui venir en aide. Et pourtant, il ne s’agissait que d’une petite centaine de millions de dollars...
« Comment ? » rugit le Pharaon, qui se déchaîna plus puissamment encore que lors de sa fulmination antérieure, levant les bras au ciel et s’arrachant les cheveux, accusant son fidèle Farouk d’incompétence crasse et de sabotage, lui reprochant injustement de n’avoir pas su gérer la situation. L’orage dura quinze bonnes minutes, au terme desquelles Farouk essaya de faire comprendre à son patron qu’il ne pouvait pas payer son personnel à la fin du mois. Ils avaient trois semaines ‒ trois semaines seulement ! ‒ pour trouver une solution. À défaut, les syndicats lanceraient très probablement une grève. La presse risquait de s’emparer de l’affaire, ce serait une catastrophe. « Une grève ! rugit le Pharaon, emporté dans un nouvel accès de rage. Comme si la maison pouvait s’offrir une plaisanterie de ce genre ! C’est un scandale ! »
Le calme revenu, Farouk lui suggéra à son patron de consulter ses pairs, quelques hautes personnalités du Système onusien – les directeurs d’agences, l’Oms, l’Unesco – pour leur demander de l’aide ou simplement un conseil. Et il recommanda au Pharaon de lancer l’alarme à New York auprès du Secrétariat général de l’Onu. Ce dernier était surmené, certes, car la guerre de Gaza battait son plein avec l’opération israélienne nommée « Jours de pénitence ». Tenir informé le Secrétaire général était important, et il aurait peut-être un conseil à donner.
Le Pharaon décrocha son téléphone pour s’entretenir avec le directeur de l’Oms à Genève. Ce dernier, confronté à une situation financière analogue à la sienne, et de surcroit empêtré dans une épidémie de virus Ebola en Afrique, ne pouvait être d’aucune aide. Le Pharaon alors téléphona à son homologue de l’Unesco : même musique, même discours. Sa propre situation était pire que celle du Pharaon, car les Etats-Unis et l’Angleterre et refusaient toujours de rejoindre les rangs de l’organisation après leur opposition au projet de « Nouvel ordre mondial de l’information ». L’Unesco n’avait donc rien à offrir au Pharaon. Celui-ci alors appela le Secrétaire général de l’Onu en personne, sur son téléphone portable. Ils étaient amis, ils s’étaient connus sur les bancs des amphithéâtres de Harvard, ils avaient joué au base-ball ensemble et dragué les mêmes filles, ils étaient frères de lait en quelque sorte, de vieux mâles alpha complices, ils trouveraient une solution.
Le Pharaon alla droit au but, il lui fallait cent millions. Le Secrétaire général l’assura de sa compréhension, mais lui rappela que chaque agence spécialisée du système est autonome et doit alimenter ses caisses par ses propres moyens. Il faisait face lui-même à un déficit dix fois supérieur, un milliard de dollars, pour financer ses interventions de maintien de la paix et les Casques bleus, bref il était en quasi-faillite, et ceci presque en permanence depuis dix ans. « Mon cher, je ne peux rien pour toi. Le seul conseil que je puisse te donner, hélas, c’est d’approcher d’autres banques. Débrouille-toi ! Comment vont ta femme et tes enfants ? »
Le Pharaon raccrocha. Il balança rageusement son portable sur sa table, et s’affaissa pesamment dans son fauteuil. Farouk savait d’expérience qu’il devrait maintenant parler patiemment à son boss, lui tenir la jambe, l’abreuver de paroles et écouter ses plaintes. « Farouk, Washington se fiche de nous, nous le savons depuis longtemps mais là ils passent les bornes. Ce qui est conclu un jour est toujours remis en cause le lendemain. Nous sommes pitoyables et pathétiques, mon ami ! »
Un mal de crâne violent broyait la cervelle du Pharaon. Il renvoya Farouk et ordonna à sa secrétaire d’appeler l’ambassadeur du Brésil, leader des pays du Sud, car il voulait d’urgence son avis et son soutien. Jusqu’à son arrivée, il voulait n’être dérangé par personne, et sous aucun prétexte. Puis il éprouva un besoin irrépressible de se reposer, et décida de se coucher pour un petit repos sur le canapé de velours rouge qu'il avait fait mettre dans un coin de son bureau. Il s'approcha de ce merveilleux divan, heureux à la perspective de se réveiller dispos vingt minutes plus tard. Il lui fut alors donné de vivre une étrange aventure.
Sa conversation téléphonique avec son ami le Secrétaire général se poursuivait, il avait de nouveau son oreille collée à son téléphone portable. Son vieux copain lui recommandait d’approcher le Vatican. Au plus haut niveau. Le Pape. Le Pape lui-même. Très discrètement, secrètement ! Les institutions bancaires du Saint-Siège pourraient peut-être accepter de le tirer d’embarras. L’entreprise était risquée. C’était une démarche irrégulière, car le Vatican était un État observateur et il en allait de l’indépendance et de la neutralité de l’Onu. Toutefois, si le Pharaon faisait une entorse à ce principe, lui, le boss, le Secrétaire général, il n’y verrait pas malice. Si le Pharaon obtenait le soutien du Vatican, peut-être cela ouvrirait-il aussi la porte à d’autres secours du même genre au profit des opérations de maintien de la Paix et des Casques bleus ? Bref, le Secrétaire général se montrait solidaire du Pharaon, lequel recevait mandat, secrètement, de solliciter l’aide du Pape.
Après une demande d’audience, le Pharaon était maintenant attendu pour cette rencontre cruciale. Officiellement, l’objet de l’audience était un colloque sur l’état de l’agriculture et de la faim dans le monde. On avait laissé entendre, sans entrer dans les détails, que ce sujet conduirait à aborder certaines autres questions délicates.
« Jamais sans doute, fit le Saint-Père, la pertinence de l’action de l’institution dont vous avez la charge ne s’est faite sentir avec une telle intensité. Les sociétés industrielles sont capables de produire d’énormes richesses, mais elles manifestent de graves insuffisances lorsqu’il s’agit d’en répartir équitablement les fruits. Toutes ces centaines de millions d’affamés encore aujourd'hui, à notre époque ! Et puis il y a aussi le climat et la dégradation effrénée des ressources naturelles... Ces situations de souffrances sont intolérables. Elles sont une négation du principe de l’origine et de la fraternité communes en Dieu, qui veut que tous les humains soient nés égaux en dignité et en droit. Je le répète, la pertinence des travaux de votre organisation pour lutter contre ces fléaux est unique, et vos actions sont admirables, remarquables. Vous ravivez la mémoire du monde devant ces tragédies dont nous sommes tous témoins chaque jour, et vous cherchez des solutions, et vous en trouvez parfois, et même souvent ! Ceci dans la collégialité et dans le respect des peuples. On me dit, mon fils, que la part de l’humanité qui souffre de faim est en recul. Est-ce vrai ?
- Votre Sainteté, ces progrès sont encore fragiles. Et nous reculons parfois… Nous serions maintenant à moins d’un milliard d’affamés, à huit cents dix- huit millions, pour être précis.
- Mon fils, la fiabilité de nos statistiques est toujours un peu douteuse, ne croyez-vous pas ? Peut-être y-a-t-il plusieurs dizaines de millions d’affamés de plus que cela ? Plusieurs centaines de millions ? Peut-être le double, même ? Qu’en savons-nous vraiment, qu’en savez-vous ? L’erreur est humaine, n’est-ce pas ? On me dit qu’il y aurait trente mille morts de faim par jour, un par seconde…
- Nous avons les meilleures informations disponibles sur ces choses, très Saint père, et les meilleurs experts aussi, et les méthodes scientifiques les plus avancées... Je voudrais quoi qu’il en soit, votre Sainteté, vous remercier vivement pour le soutien moral et politique que vous nous accordez. Votre influence sur nos États membres nous est très précieuse.
- Il n’y a là que l’effet de ce qui est raisonnable, mon fils. La terre est un don de Dieu pour tous, et il nous appartient d’en prendre soin. »
Se souvenant des paroles de son ami le Secrétaire général, le Pharaon transmit au Pape la très haute estime qu’il lui portait. Le Saint-Père en retour s’enquit de sa santé. Puis il ajouta :
« Cet homme très admirable fait tout ce qu’il peut pour la paix, et en ce moment face au drame de la Palestine, à Gaza, et j’ai appris qu’il a de graves difficultés pour financer les Casques bleus… Nous nous sommes parlé il y a deux semaines…
- Très Saint-Père, la vérité est qu’il y a méprise sur notre fonction et sur nos pouvoirs, à nous, les agences et les fonctionnaires de l’Onu. Et nos difficultés financières sont immenses ! Certes, le monde est en droit d’attendre beaucoup de nous et de nos organisations, mais les gens ne savent pas, ne se rendent pas compte, ils ignorent nos difficultés…
- Ah ! L’ignorance, mon fils, la terrifiante ignorance...
- L’ignorance, mais aussi l’intérêt, et la bêtise, très Saint-Père ! Et l’indifférence !
- Ce sont là des armes favorites du malin, mon fils, de terribles armes du Mal !
- Très Saint-père, je voudrais si vous le voulez bien vous donner un exemple, le cas de mon agence. Les arriérés de paiement des Etats-Unis et d’autres pays membres nous placent dans une impasse que vous auriez peine à imaginer. »
Le Saint-Père écouta avec attention le Pharaon et le remercia pour ses douloureuses confidences.
« Je comprends vos préoccupations, fit-il après un moment de silence, avec de grands yeux très étonnés et pleins de bonté.
- Je ne pourrai pas payer mes fonctionnaires à la fin de ce mois et les syndicats lanceront très probablement une grève. Ce sera un scandale. La presse s’emparera de la chose et en fera des scoops. J’imagine déjà les titres : « Les fonctionnaires internationaux grassement payés de l’Onu se mettent en grève ! ». Ou bien encore « Crise financière majeure, comment l’Onu a-t-elle fait ses comptes ? »
- Mais mon fils, comment une institution telle que la vôtre peut-elle se trouver confrontée à pareille difficulté ?
- Nos banquiers, aujourd’hui, refusent de nous faire crédit. Ils ont des doutes sur l’assainissement de notre comptabilité, et ils sont au courant du blocage des paiements américains, bref, ils n’ont plus confiance.
- C’est une terrible nouvelle, ce que vous m’annoncez-là, fit le Saint-Père en haussant les sourcils.
- N’est-ce pas ? Bien sûr, les craintes des banquiers sont excessives. Mais hélas, ils se montrent inflexibles. Aussi j’ai imaginé... Je me permets... Excusez-moi, je vous en prie, d’aborder ce sujet avec vous… Bref, très Saint-Père, j’aurais une requête à vous soumettre, la voici : Votre Sainteté pourrait-elle intercéder auprès des banques vaticanes pour nous sortir de ce mauvais pas ? Pourraient-elles – dans le plus grand secret bien entendu – nous octroyer un prêt et nous tirer d’affaire ? Et j’ai aussi pensé à ceci, très Saint-Père : dans le cas où les banques vaticanes ne pourraient pas nous aider, peut-être pourriez-vous personnellement entrer en contact avec le président des États-Unis ? Avec toute votre autorité morale, vous pourriez lui suggérer directement de nous verser ses arriérés de contribution obligatoires ? »
Toute honte bue, le Pharaon sentit perler des gouttes de sueur froide à ses aisselles. Et après s’être acquitté de sa pénible requête, sa cervelle en ébullition, à gros bouillons, et elle fut soudain envahie par doute terrifiant. Les relations de son organisation n’étaient-elles pas codifiées par des règles de diplomatie et de procédure qu’il était en train, lui, le Pharaon, de violer allègrement ? La requête d’aide financière qu’il venait de formuler – bien que soutenue secrètement par le Secrétaire général – n’était-elle pas une entorse aux principes d’indépendance de l’Onu, organisation super partes qui ne pouvait pas s’endetter auprès d’un État ? Et pire encore, auprès d’une autorité religieuse ? Et enfin, enfin, la mendicité à laquelle il se livrait n’était-elle pas indécente ? Pitoyable, infiniment méprisable ? Ridicule et obscène, même, enfin, au regard de la misère du monde et de la dramatique situation à Gaza ? N’était-il pas en train de piétiner des principes élémentaires de l’éthique onusienne ?
Le Pontife, qui avait eu tendance à s’affaisser et à arrondir le dos à mesure que progressait leur entretien, prit fermement appui de ses deux bras sur les accoudoirs de son siège et se redressa. Ses sourcils s'élevèrent d'étonnement. Ils continuèrent de se hausser, de se rapprocher du rebord de sa calotte immaculée : c’était comme si son front disparaissait, et cette image inquiéta le Pharaon au plus haut point. Il eut un sombre pressentiment. La situation était insupportablement incommodante. Intenable. Le Saint-Père en éprouvait une gêne visible : agité, il toussotait, rougissait. S’étranglait-il ? Sa Sainteté retrouva néanmoins son aplomb :
« Mon fils, nous sommes concernés par la misère et la faim de la grande famille humaine, certes. Vous le savez. Pour ce qui est de vos finances, nous pensons que tout ce qui leur porte préjudice est très regrettable. Cette situation n’est pas de nature à soulager la souffrance de nos frères humains. Mais vous vous souvenez de la phrase du Christ : Rendez à César ce qui est à César. Nous nous gardons bien d’intervenir dans ce genre de problèmes. Je prierai pour vous. Et tous les gouvernements et toutes les organisations internationales sont tous les jours dans nos prières. »
Un long silence embarrassé suivit. Le Pharaon lourdaud et balourd, indécrottablement obtus et incapable de jugeotte, estima encore nécessaire de demander :
« Pardonnez-moi, je ne suis pas certain d'avoir compris si, oui ou non, votre Sainteté interviendra en notre faveur...
- Ne vous préoccupez pas, mon fils, tout s’arrangera. La divine Providence veille sur vous. Faites votre travail, mon fils, n’ayez pas peur, et ne perdez pas courage.
- Voulez-vous dire que sa Sainteté considère avec indulgence ma requête ? Avec générosité, avec magnanimité ? Interviendrez-vous ?
- Cher monsieur le directeur, je vous écoute avec bienveillance, certes, mais je n'ai qu'un conseil à vous donner : faites votre travail, consultez votre banque. Ne craignez rien, car au bout du compte tout ira bien. Que pourrais-je vous dire de plus ? Montrez-vous digne de votre profession, de votre occupation et de vos responsabilités, mon fils, et allez en paix. »
La situation rendait le Pharaon complètement imperméable à toute subtilité. L’oracle et les paroles du Saint-Père étaient un peu trop énigmatiques pour lui. Devait-il penser que sa requête n'était pas recevable ?
« Votre Sainteté, que mon insistance soit pardonnée...
- Vous êtes pardonné, mon fils.
- Dois-je comprendre que les banques vaticanes nous aideront à sortir de cette mauvaise passe ?
Le Saint-Père pâlit puis toussa soudain, en s’étranglant, d’une toux inquiétante. Il eut un haut le cœur qui arrêta net sa respiration quelques secondes durant. Son visage devint violemment écarlate, ce qui acheva d'effrayer le Pharaon : une attaque ? Dans un spasme, le Pape proféra alors d’une voix aussi bouleversante que bouleversée :
« Luttez, mon fils ! Il faut lutter ! » Ce disant, le Pape cherchait de la main, à tâtons, une sonnette dissimulée sous l'accoudoir de son siège. Lorsqu'il l'eut trouvée, il appuya sur son bouton de manière insistante, ce qui provoqua l'apparition immédiate d'une escadrille de cardinaux en soutanes pourpres, et de toute une escorte médicale en blouse blanche. Accroché pesamment à ses accoudoirs, le Pape releva la tête et s'adressa à son visiteur dans un ultime effort : « Que Dieu vous protège, mon fils ! » Un nouveau spasme secoua ses épaules, il tomba de son fauteuil et s’affaissa, roulé en boule par terre. Les médecins et les infirmières se précipitèrent, affolés.
Le Secrétaire d’État du Vatican prit le directeur général par le bras, et le conduisit avec empressement vers la sortie, le confiant au premier cardinal venu et en le recommandant formellement à quelques gardes suisses afin qu’ils se chargent de le raccompagner.
Dans le dédale des couloirs du palais pontifical, le Pharaon fut pris d’une angoisse vertigineuse qui se transforma en véritable panique. Le Saint-Père survivrait-il à cette attaque ? L'impertinence de sa démarche avait-elle été la cause de son malaise ? Il insista auprès du cardinal pour qu'on le tienne au courant, heure par heure. Une vision d'horreur le fit tressaillir et le fit s’arrêter de marcher. Des manchettes de journaux défilaient devant ses yeux, qui claironnaient : « Audience fatale au Vatican : le Pape meurt. Des soupçons pèsent sur le directeur d'une agence de l'Onu ». Il s’imagina au milieu d’une meute hurlante de photographes l’attendant à la sortie de son domicile. Il se vit les menottes aux poings, interrogé par le chef de l'État-major des Gardes suisses. Il s’imagina sur un banc d'accusé, devant les cardinaux du Vatican et le Secrétaire général de l’Onu, sommé de donner des explications...
Dans un accès de tachycardie extrême, il se réveilla en sursaut, couvert de sueur, et s'assit sur le rebord de son divan rouge, hagard, haletant, les yeux hors de leurs orbites. Deux heures plus tard, tandis que son cœur continuait encore de battre la chamade, sa secrétaire lui annonça l’arrivée de l’ambassadeur du Brésil.
À suivre…